L’innovation est-elle LA solution à tous nos maux ? C’est ce qu’on aimerait nous faire croire
Ce qu’il était commun d’appeler il y a deux cents ans le progrès, se nomme désormais « innovation », « startup », « réseaux sociaux », ou encore « BigData ». Aujourd’hui, nous regardons parfois le progrès avec défiance, à juste titre. En 2020, par exemple, le progrès « made in World » pollue la vie en propageant un virus qui tue et met en danger la population mondiale.
Dans un système où l’injonction principale est d’innover, sans tenir compte de l’environnement, qu’il soit économique, naturel, ou social, la solution réside peut-être ailleurs.
Innovation est-elle LA solution ? Ils sont méfiants ? Ils ont raison !
L’innovation est un concept qui n’a que quelques centaines d’années. C’est l’industrie qui a créé ce concept et il correspond à la transformation de la société. Autrefois on appelait ça le progrès.
« L’innovation est une accélération de la transformation de la société »
Bernard Stiegler – ArsIndustrialis
ArsIndustrialis est consultable ici.
L’innovation en tant que rupture accélérée d’avec un ancien modèle, a toujours posé le problème du désajustement de la société à cette nouvelle réalité technologique et sociale. Autrefois nous avions le temps. Il se mettait alors en œuvre un processus de réajustement de la société à la nouvelle réalité produite par l’innovation, par le progrès. D’après Bernard Stiegler, ce « processus de réajustement » ne parvient plus à s’opérer et le réajustement devenu impératif doit désormais se faire à l’échelle de la planète :
Aujourd’hui, la question est de savoir si nous désirons adapter la société au progrès technique ou s’il est nécessaire de promouvoir l’adoption du progrès technique par la société.
C’est l’historien Bertrand Gille qui a décrit le « système technique » comme un ensemble cohérent de techniques, qui forment système par leur propre organisation et l’organisation qu’elles opèrent entre elles. Pour une société et une époque donnée, les différentes techniques se répondent, sont interdépendantes, s’organisent et forment un système qui lui-même a pour conséquence de faire apparaître un modèle économique, juridique, social.
Depuis plus de trente ans, dans nos modèles économiques, nous ne nous soucions pas de l’adaptation de nos sociétés au progrès technologique. Nous surproduisons avec un objectif de remplacement et d’obsolescence programmée, qui nous amène à ne plus gérer que nos déchets. Ne pas s’en soucier quand l’innovation technologique et industrielle met 30 ans à apparaître, ça peut encore s’entendre. Par contre, quand l’innovation technologique et industrielle se produit à un rythme annuel ou, pire, quand l’innovation devenue servicielle se produit chaque mois, chaque semaine, alors ne pas se soucier des réajustements nécessaires de nos sociétés devient particulièrement irresponsable.
Selon Gille, l’organisation des différentes techniques entre elles conditionne le modèle même de notre société. Alors posons-nous cette question : si nous poussons nos contemporains à l’irresponsabilité, qu’avons nous à espérer de notre société ?
Innovation servicielle : La valeur humaine au centre du débat
Le marketing a été inventé dans un contexte de crise économique et de surproduction industrielle avec comme seul but de gérer les pulsions des individus et promouvoir l’irresponsabilité des consommateurs. Aujourd’hui, et depuis plusieurs années, le marketing en est venu tout naturellement à contrôler jusqu’au débat citoyen.
Nous ne voulons pas opposer l’ancien monde et le nouveau. Il nous semble plus pertinent de travailler ensemble à la création d’une nouvelle situation où le débat citoyen a repris toute sa place et permet à nouveau l’assimilation des évolutions technologiques dans une démarche créatrice et coopératrice.
Nous devons passer d’un modèle de défiance où le marketing et la gestion nous ont installés durablement, pour entrer de nouveau dans un monde de coopération et de confiance. C’est possible, même si les plus de 35 ans ont tendance (encore) à nous considérer comme des doux rêveurs, certains d’entres-eux comprennent que le modèle marketing historique est en fin de vie et qu’une évolution est nécessaire y compris pour ces métiers qui étaient préservés jusqu’à présent. Le marketing et la communication d’entreprise sont des secteurs d’activités dont la mort est annoncée, si pas de changement de cap notable et urgent.
La valeur humaine, l’écoute, le partage, la co-création des services nécessitent une approche faite d’humilité qu’il est bien difficile à mettre en œuvre après avoir subi des formations encore trop tournées vers le passé. Il faut reconnaître que se défaire de dogmes issus de la lutte des classes et des modèles industriels de la fin du siècle dernier n’est pas de tout repos. Cependant, chez #AntiZèle, nous les rencontrons régulièrement ces jeunes, intelligents, ouverts au dialogue, qui créent depuis quelques temps les entreprises et l’économie de demain. Quoique décident les anciens, ces communautés nouvelles occupent déjà un espace et font collectif, en toute discrétion, en pleine efficacité économique et sociétale.
Une autre technique vertueuse consiste à introduire le débat à tous les niveaux de l’organisation. Certes, la Direction de l’entreprise conserve ses prérogatives et pilote la stratégie. Mais introduire le débat, dans un cadre bienveillant, permet d’y réfléchir ensemble, avec tous les membres qui constituent ce collectif entrepreneurial. Le débat, dans un cadre différent et toujours contrôlé, peut se faire aussi avec les clients, avec ce qu’ils consomment et ce qu’ils aimeraient pouvoir consommer, loin des approches cadrées et dirigées des méthodes du marketing historique et de la psychologie commerciale. Et plus largement, quand la question en vaut la peine (et vous seriez surpris de découvrir que c’est généralement le cas), le débat peut s’étendre à ce que nous, français nommons la société civile pour éviter de prononcer un terme citoyen qui nous rappelle peut-être une autre histoire…
Alors, L’innovation est-elle la solution ?
Non. L’innovation n’est une solution que dans un modèle où les techniques recommencent à s’organiser entre elles (y compris les techniques « sociales » et « économiques ») et surtout où le consommateur redevient un citoyen responsable et reste intégré de bout en bout au processus de production.
C’est possible et même encore courant dans le monde des services à la personne. C’est tout à fait réalisable également dans l’univers de production des biens matériels.
Pour accompagner cette évolution, il est nécessaire de s’appuyer sur des modèles et des méthodes dont certaines sont éprouvées. Bertrand Gille en a proposées, qui consistaient à étudier dans un premier temps le système « à l’arrêt » c’est à dire lorsqu’il ne produit pas ce pour quoi il a été conçu pour ensuite l’étudier dans sa mobilité.
Des systèmes à l’arrêt, nous en connaissons tous un certain nombre. Il est peut-être temps de les étudier de près ?