Uber : Un modèle révolutionnaire ou l’intermittence des services ?
Le modèle économique d’Uber est transposable sur tout type d’activité où il s’agit de centraliser les demandes et les offres pour des clients et des prestataires de services.
Cette solution fleurit naturellement sur le terreau des services autant pour des questions d’ordre privé que pour des questions d’ordre professionnel. Aujourd’hui, il est tout à fait possible d’aller chercher des services de création graphique sur des plateformes numériques qui regroupent des professionnels de la branche mettant leur expertise directement à disposition des clients, entreprises ou individus. Uber : un modèle révolutionnaire ? Pas si sûr…
C’est le cas de l’ancien 12designers, devenu 99designs, ce qui laisse présager un développement rapide de cette entreprise allemande qui propose les services d’une communauté de graphistes et designers sous la forme de « concours » dont vous, client, êtes l’instigateur.
Économiquement, le modèle Uber n’a rien de nouveau
Les sociétés de portage le connaissent bien puisqu’il s’agit pour elles de gérer des contrats « salariés » mais qu’elles ne sont en aucune façon tenue de fournir du travail à ces « salariés particuliers », tout comme c’est le cas pour Uber.
Elles se contentent de fournir une prestation administrative de gestion de la paie, des déclarations légales et fiscales, de facturation, au travers d’une plateforme et d’applications numériques. En gros, l’entreprise de portage, c’est la comptabilité, la fiscalité, le social mutualisés.
Cette solution n’existe qu’en réponse à l’engorgement lié à la surabondance des activités de gestion qui réduisent considérablement la productivité des personnes au travail. Par contre, supprimez l’engorgement dû aux activités de gestion et que se passe-t-il pour les sociétés de portage salarial ?
La comparaison s’arrête là. Contrairement à Uber, les entreprises de portage salarial n’ont pas l’obligation de mettre en relation les clients et leurs salariés, fournisseurs de services. Les salariés de l’entreprise de portage salarial cherchent eux-mêmes leur travail et ne seront pas payés s’ils n’en trouvent pas.
A l’inverse, chez Uber, si les chauffeurs ne sont pas salariés, l’entreprise est tenue d’assurer le service de mise en relation. Pour le coup, Uber supprime le lien de subordination et remet le travail au centre du débat. Et ça se voit : les jeunes chauffeurs, privés d’emploi jusqu’à Uber, se mettent au travail avec joie en assurant un service d’une qualité que les clients avaient parfois été contraints d’oublier.
Alors, Uber : Un modèle révolutionnaire ? Non.
L’intermittent du spectacle = Une ubérisation anticipée ?
Dans la même veine, le statut des intermittents du spectacle a encore davantage de flexibilité pour l’employeur. Dans les faits, ces « salariés » particuliers se débrouillent seuls pour effectuer leurs tâches de gestion et pour trouver le travail qu’ils devront réaliser.
Aucun de leurs multiples employeurs ne peut être tenu de leur en fournir régulièrement, malgré le lien de subordination du contrat de travail (ou contrat d’emploi). Dans un cas (le portage) comme dans l’autre (l’intermittent), ces formes de salariat ont modifié considérablement la protection du salarié alors même qu’elles maintiennent un lien de subordination direct avec le ou les employeurs-clients.
C’est une différence notable chez Uber qui s’engage contractuellement à mettre à disposition des chauffeurs, tous les services construits pour la promotion et la valorisation de leur travail, pour la mise en relation rapide et efficace avec les clients.
Uber met en œuvre des services qui ne sont pas uniquement technologiques, qui sont socialement intelligents, et dont l’objectif est de faciliter le travail des chauffeurs qui ne sont même pas ses salariés. Ne serait-ce pas aussi un retour au sens commun ?
Uber n’est pas un nouveau modèle technologique
Qualifier Uber d’entreprise technologique est particulièrement réducteur et occulte totalement la complexité et l’intelligence du service construit autour de la solution technique.
C’est pourtant bien le service qui est consommé, par les clients comme par les chauffeurs, pas l’infrastructure ou la technologie. Si Uber représente l’apparition d’un nouveau modèle, c’est uniquement pour ceux qui n’ont pas compris ce que sont les services et la production de biens immatériels.
Pour satisfaire le consommateur dans un monde de services, il est primordial et nécessaire de libérer le travailleur, de lui rendre sa liberté d’action. Sinon, nous connaissons tous les dérives induites.
Elles s’appellent « tarification à l’acte », suicide et souffrance au travail, perte de sens, dégradation des conditions de travail, disparition des collectifs, production de la non-qualité, etc..
Uber : Un modèle révolutionnaire ou une occasion de réfléchir sur le sens du service ?
Même si le modèle d’Uber comporte des risques, il n’est qu’une représentation où les opportunités restent nombreuses, qui nous pousse à travailler nos références pour y faire évoluer des solutions parfois déjà présentes.
Et puis, qui craint le plus Uber et investit actuellement dans le lobbying contre cette société ? Les jeunes au chômage ou les groupements industriels ?
Le terme d’Ubérisation fait partie des mots-valises qu’il est important de maîtriser pour en comprendre les enjeux. C’est aussi notre premier sujet d’une trilogie sur les légendes qui hantent le champ de l’économie.