Penser travail et chaleur humaine ça peut être surprenant par les temps qui courent.
Mais pas tant que ça, parce que ce qui se passe au travail a des répercussions dans le domaine de l’intime, de la chaleur humaine et du sens que nous voyons dans le métier qui nous occupe.
Chez #AntiZèle, nous avons fait le choix de parler de ce qui nous tracasse, de ce qui nous « pose problème », de ce que nous voulons changer dans nos vies professionnelles. Commencer à en parler, c’est déjà une bonne action envers nous mêmes. Un temps privilégié pour soi. Parce que l’humain au travail, c’est de la chaleur humaine avant tout. Même si depuis quelques années nous avons tendance à l’oublier. Nous travaillons une grande partie de notre vie. Quand nous sommes employé.e, freelance, intermittent.e, ou bénévole ou quand nous sommes au chômage, en recherche d’emploi ou non. Car être sans emploi, c’est aussi l’obligation d’acquérir les compétences d’un nouveau métier : la recherche d’emploi.
Et cette partie de notre vie doit impérativement rester le formidable moteur qu’elle a toujours été pour nos liens sociaux, même contre vents et marées. Quel que soit notre métier, le travail reste l’espace principal des rencontres, des amitiés, des amours et des découvertes. C’est aussi et toujours un outil potentiel d’épanouissement personnel, quelle qu’en soit la forme. Cet outil là, est à la portée de tou.tes.
Alors, dans les conditions actuelles, quelles sont les possibilités dans le travail, de retrouver la chaleur humaine ?
Nous constatons, depuis une dizaine d’années maintenant, que de créer un espace d’échange respectueux et bienveillant, qu’il soit physique ou sur le web, permet de dénouer des situations qui semblaient incontrôlables. Retrouver le sentiment d’être entendu, pire, d’être compris. Ça semble improbable, n’est-ce-pas ? Pourtant ça ne l’est pas tant que ça. Il est temps de s’y consacrer pleinement et avec les outils qui sont à notre disposition.
Je n’ai pas envie d’être malade pour commencer à m’occuper de moi. Je suis fatiguée par les demandes qui arrivent sans cesse, le nombre de mails que je reçois est démentiel.
Et puis, on me demande sans arrêt des comptes sur ce que je fais. C’est tellement compliqué d’expliquer mon travail. Souvent je ne trouve pas les mots.
L’industrialisation de nos métiers, de nos activités et de notre pensée a provoqué un cataclysme sociétal dont les conséquences sont désastreuses pour la santé des individus.
Notre rythme de travail a considérablement accéléré ces dernières décennies. Dans notre quotidien, nous y sommes tellement habitué.es qu’il nous parait souvent « impossible à ralentir ». Ne pas être en mesure de terminer une tâche correctement, même quand elle est simple, a des effets délétères sur notre moral. Nous nous sentons dans l’insatisfaction permanente et l’incapacité à reprendre les choses en main. Les jours succèdent aux jours, sans possibilité de marquer un temps, de se poser, de réfléchir à ce que l’on fait.
L’organisation du travail, la mise en place des processus pour produire des services, le système de management et son contrôle de gestion, ont généré une augmentation des pathologies qui leur sont directement liées.
En effet, l’augmentation des troubles musculo-squelettiques est la conséquence directe d’un rythme de travail de plus en plus agressif pour l’individu. Le système de management et le contrôle de gestion sont directement liés aux suicides sur le lieu de travail. Ces catastrophes sont provoquées par un système de management devenu maltraitant.
Heureusement, malgré les freins à reconnaître les responsabilités individuelle et institutionnelle, les liens directs de l’organisation avec les troubles socioprofessionnels apparaissent aux yeux de tou.tes. Et les victimes qui le peuvent encore, ont enfin des espaces de parole et sortent du silence parce que la justice commence à trancher.
les situations catastrophiques sont désormais visibles.
Le jugement, très attendu, est tombé vendredi 20 décembre [2019] : trois anciens dirigeants de France Télécom – Didier Lombard, président-directeur général entre 2005 et 2010, Louis-Pierre Wenès, ex-numéro 2, et Olivier Barberot, ex-directeur des ressources humaines –, ont été déclarés coupables de « harcèlement moral institutionnel », ainsi que l’entreprise, dix ans après une vague de suicides de salariés. – Le Monde du 20 décembre 2020
Il a fallu 10 ans après la vague de suicide pour le les responsables et la justice reconnaissent enfin la responsabilité institutionnelle et individuelle de l’entreprise. C’est très long en regard des souffrances et de la maltraitance institutionnelle qui existent depuis au moins trois décennies en France. Les métiers de l’informatique ont payé un très lourd tribu dès 2000 qui reste encore aujourd’hui invisible, insoupçonné du grand public.
L’industrialisation des services à la personne a des effets totalement inhumains sur le personnel des établissements de santé depuis qu’elle a été lancée à toute vitesse par notre gouvernement pour des questions d’optimisation budgétaire. Aujourd’hui on encore on n’entend parler que de désindustrialisation, avec une seule image en tête, les objets, les biens matériels, les voitures, moto, etc. Car le processus d’industrialisation des êtres humains n’est pas devenu un sujet à l’ordre du jour. Pourtant l’actualité est sévère sur la question. C’est bien l’industrialisation des hôpitaux et le contrôle de gestion des soignant.es qui provoque des ravages en ce moment même.
Alors, pourquoi attendre d’être malade pour comprendre ce qui nous arrive et pour commencer à nous protéger ?
J’ai du mal à exprimer ce qui ne va pas. Je râle, je peste, mais c’est difficile de trouver les mots justes pour sortir ce malaise.
Autrefois on pouvait parler de nos problèmes à la machine à café, mais aujourd’hui c’est fini.
Quand nous en parlons, nous nous sommes habitué.es à parler de notre travail comme d’une suite d’activités. Nous n’avons plus l’espace pour évoquer ce qui nous pose réellement problème dans l’exercice de notre métier. Nous n’évoquons jamais le réel de notre travail parce qu’il n’y a plus d’espace pour le faire. Le premier interlocuteur devrait être le responsable hiérarchique, celui ou celle qui signe les feuille de congés. Mais ce ne sont plus systématiquement les mêmes personnes car mener les entretiens annuels et signer les feuilles de congés, sont devenues des tâches à réaliser et ne font plus partie du métier de chef ou de référent en tant que tel.
Par dessus tout, l’entretien annuel n’est plus qu’un entretien de suivi d’activités (!).
Et puis, dans tous les cas, cet interlocuteur est concentré sur autre chose qui n’a plus rien à voir avec le métier exercé. Il est concentré sur la gestion des tâches, qui seraient elles-mêmes transférables d’une personne à une autre à niveau d’expertise équivalent. Même si le travail implique de l’indicible, de l’inconscient, lié à l’expérience et à la sensibilité de chacun.
Mais où est la chaleur humaine dans ce travail là ?
Ce qui fait qu’on se passionne pour son travail ou qu’on est content de sa journée, c’est la satisfaction de l’avoir bien fait. Et bien, faire son travail est une notion intime dans laquelle le passé, le présent et le futur entrent en jeu. Cette satisfaction a des degrés différents, en fonction de l’expérience de l’individu, de son éducation, de son regard sur lui-même et du regard des autres, de ses pairs, de sa hiérarchie, des nouveaux collègues.
Et puis, pour bien faire son travail, il est important d’en comprendre le sens.
Quand il s’agit de redonner du sens au travail, c’est qu’il n’en a pas à la base. En effet, quel sens a le métier de quelqu’un qui ne produit rien, ni matériel, ni immatériel, et dont les activités consistent uniquement à imposer le respect du processus.
On le sait, le respect du processus, sans intelligence, ça s’appelle « la grève du zèle » et ça conduit droit à l’arrêt de la production. Fort heureusement, consciemment ou inconsciemment la majorité des travailleurs résiste encore et c’est bien ce qui la maltraite.
Quand l’institution est déréglée, résister est une preuve de santé. Encore faut-il ne pas rester seul dans cette situation. Il faut recréer des collectifs par tous les moyens quand ils ont disparu.
Je ne supporte plus qu’on me parle de réenchanter, redonner du sens, réinventer…
Je n’ai rien à réinventer. Je sais faire mon métier et ça se passe très bien quand on me fiche la paix. D’ailleurs, je prends toujours mes vacances avant ou après celles de mon Manager. Quand il n’est pas là, je peux enfin faire mon travail tranquillement et sans stress.
Dans la presse, dans les couloirs de l’entreprise, nous recevons quotidiennement des injonctions au bonheur, comme s’il dépendait uniquement de nous. Nous savons qu’il n’en est rien et que l’idée même d’aller un peu mieux serait largement suffisante pour se mettre à envisager l’avenir avec davantage de plaisir.
Les Ressources Humaines ont lâché l’affaire depuis bien longtemps et ne se bornent plus qu’à agir dans le cadre qui leur est précisé par la Direction financière. Les rennes sont tenus par la finance et le contrôle de gestion, pas par les spécialistes du travail que sont les Ressources Humaines. La conséquence directe de cette situation, c’est la disparition des métiers, la négation du travail et la maltraitance institutionnelle.
Cependant, la machine est bloquée, mais pas cassée. Nul besoin de la réinventer pour progresser. Il suffit de commencer à identifier où se trouvent les points de blocage.
Raconter une journée de travail, c’est déjà commencer à mettre le doigt sur ce qui ne va pas. Identifier ce qui « pose problème », c’est commencer à pouvoir le situer, l’attraper et le modifier. Si on en a la capacité et l’envie, bien sûr. Le faire ensemble, c’est plus facile et ça va plus vite. La capacité devient collective et nous pouvons nous y appuyer, solidement.
En fait, je dois remplir des tableaux et des rapports d’activité mais on ne me demande jamais ce que je fais vraiment dans mon travail. Oh bien sûr, je peux attendre l’entretien individuel pour m’exprimer mais ça ne sert pas à grand chose puisque seul les objectifs comptent. Le chemin pour y arriver, j’ai l’impression que ça n’intéresse plus personne dans l’organisation.
Et c’est bien là que ça ne va pas. Pour comprendre il faut écouter et prendre le temps de poser les bonnes questions.
Mais les Managers sont bien souvent démunis face aux métiers. Les chefs d’autrefois sont devenus des gestionnaires qui ne comprennent plus vraiment les activités. Ils sont coincés entre les attentes des Directions financières et le réel du travail qui quoique l’on fasse, résiste indubitablement. Et même, s’ils désiraient changer de posture, ils se trouvent face aux autres Responsables qui sont dans la même difficulté qu’eux et la tâche leur parait immense. Les Managers sont aussi conscient.es de ces écarts sans toujours être en mesure de les identifier réellement pour être capable de les nommer.
En tant qu’employé c’est la même difficulté, accentuée par le fait qu’on se trouve en bout de chaîne. Pour pouvoir résister il faut comprendre. Pour comprendre, il faut dire les choses avant qu’elles ne nous submergent. Qu’elles deviennent insupportables et qu’on ne puisse plus les gérer.
Seulement, dans l’entreprise, cet espace a disparu. Autrefois on en parlait entre collègues. Aujourd’hui nous l’avons recréé ici et pour vous, c’est #AntiZèle.